Les données pluviométriques journalières de nombreux postes d'Afrique de l'Ouest et Centrale ont été utilisées pour élaborer les variables étudiées. Dans certains cas, celles-ci peuvent être obtenues très simplement. La pluviométrie annuelle ou mensuelle se définit par exemple comme un simple cumul de données journalières ou mensuelles. Parfois, cependant, les variables traitées font référence à une définition plus complexe telles que les dates de début et de fin des saisons des pluies. Certains problèmes ont parfois accompagné la définition des variables :
Un important travail de collecte et de critique a donc été réalisé. Il s’appuie principalement sur trois sources d’information :
Une base de données très complète (HEP-BASE), gérée sous PARADOX, a ainsi été constituée. Elle couvre l’ensemble de la zone étudiée depuis l’implantation des postes pluviométriques jusqu’à la fin de la décennie 1980.
Globalement, à quelques exceptions près, l’information pluviométrique disponible est journalière pour les pays francophones et mensuelle pour les autres pays.
La sélection des postes analysés repose sur des critères de qualité des données et de longueur des séries pluviométriques. La quantité d’information retenue varie beaucoup d’un pays à l’autre comme on le verra au cours de l’analyse des différents résultats obtenus au cours de l’étude.
La période d’étude retenue est centrée autour de l’année 1970 puisque cette date semble être celle à partir de laquelle on a pu observer une fluctuation du climat qui se fait encore ressentir dans les régions d’Afrique de l’Ouest et Centrale. Afin de travailler à partir de séries chronologiques suffisamment longues et nombreuses et en fonction des données disponibles, l’étude a concerné principalement les décennies 1950, 1960, 1970 et 1980.
Différentes méthodes, qui sont présentées ici, ont été utilisées tout au long de cette étude.
Dans la mesure du possible, on a privilégié deux approches différentes mais complémentaires :
La pluviométrie annuelle a notablement changé au cours des dernières décennies en Afrique de l’Ouest et Centrale comme en peuvent témoigner les cartes de pluviométrie annuelle et d’indices pluviométriques (figure 1 et figure 2) au cours des quatre dernières décennies.
Les précipitations annuelles ont diminué de façon très importante sur l’Ouest et le Nord de la zone d’étude, ainsi que sur la façade océanique de la Côte d’Ivoire. Ailleurs, cette diminution est vérifiée également mais plus faiblement.
Cette variation semble être apparue à la fin de la décennie 1960 et au tout début de la décennie 1970 (figure 3). Ses effets se font donc ressentir depuis plus de deux décennies et semblent même s’être accrus durant la décennie 1980.
Dans l’état actuel des connaissances, les raisons d’un tel phénomène ne sont pas déterminées. Il est toutefois intéressant de noter en Côte d’Ivoire la coïncidence et la concomitance entre la baisse de la pluviométrie dans le sud forestier d’une part et la déforestation et la mise en culture de cette région d’autre part. Cette constatation est conforme au consensus qui semble se dégager aujourd’hui à propos de l’influence humaine sur le climat (Houghton, 1996).
Les analyses qui suivent ont pour objectif de préciser les formes de cette variabilité pluviométrique.
Le tableau 1 résume les résultats d’analyse des principales variables étudiées.
Certains résultats ne couvrent parfois que partiellement la zone d’étude : les pays anglophones (Ghana, Liberia, Nigeria et Sierra Leone) n’ont pas pu être traités du fait de l’impossibilité d’y élaborer certaines variables étudiées, celles-ci nécessitant, en effet, des données de base au pas de temps journalier.
Le régime des pluies conditionne les principales variations climatiques. La région étudiée couvre des zones à climat assez différents. L’influence de la latitude y est prépondérante et permet une superposition en bandes parallèles des différents climats, soit globalement :
Deux types de régimes pluviométriques coexistent donc dans la région étudiée. Au Nord et à l’Ouest, on ne rencontre qu’une saison des pluies au cours de l’année alors qu’en bordure du Golfe de Guinée et plus à l’Est, on en rencontre deux. La limite entre ces deux secteurs est assez floue. Une zone qualifiée d’intermédiaire entre la zone à une saison des pluies et celle à deux saisons des pluies, a donc été définie.
L’évolution des zones à 1 saison des pluies, des zones à 2 saisons des pluies et des zones intermédiaires durant les décennies 1950, 1960, 1970 et 1980 a été cartographiée (figure 4). Pour chacune des décennies, le maximum d’information disponible a pu être utilisé : les postes reportés sur les cartes ne sont donc pas systématiquement les mêmes d’une décennie à l’autre.
Sur l’ensemble des pays étudiés, seuls 3 pays de l’Afrique de l’Ouest bordant le Golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Togo et Bénin) ont connu des modifications notables. Pour les pays retenus de l’Afrique Centrale, on ne note rien de réellement significatif.
Durant les décennies 1950 et 1960, la zone à 1 saison des pluies (en 1950 et 1960) s’est étendue progressivement vers le Sud en direction du littoral du Golfe de Guinée. En Côte d’Ivoire, au Togo et au Bénin, la limite de cette zone s’est déplacée vers le Sud d’une centaine de kilomètres de la décennie 1950 à la décennie 1980. Le littoral reste toutefois une zone à 2 saisons des pluies. La zone que l’on a qualifiée d’intermédiaire a connu son extension maximale durant la décennie 1960. Rappelons que cette décennie semble avoir été particulièrement pluvieuse dans l’ensemble de cette sous-région.
Il semble que les saisons des pluies aient désormais un déroulement un peu différent de ce qu’il était précédemment.
Dans les zones à une comme à deux saison des pluies, l’une de ces saisons, voire les deux, a une durée plus courte qu’auparavant. C’est parfois lié au fait que la saison des pluies débute plus tardivement, parfois au fait qu’elle s’arrête plus précocement, mais il est pratiquement impossible de généraliser. De même, le moment auquel cette modification s’est opérée ne peut être déterminé avec précision. Ce relatif raccourcissement des durées de saisons des pluies s’inscrit cependant très logiquement dans le cadre de la baisse de la pluviométrie constatée dans toute la zone.
Apparemment les quantités précipitées annuellement ont une répartition dorénavant un peu différente de ce qu’elle était précédemment.
Dans la zone à 1 saison des pluies, les décades les plus pluvieuses semblent apparaître plus précocement. La saison des pluies apparaîtrait également plus homogène autour de ces 3 décades.
Dans la zone à 2 saisons des pluies, la pluviométrie enregistrée au cours des saisons pluvieuses a considérablement varié au cours des dernières décennies. Globalement elle a diminué. Ce fait est cependant plus sensible en ce qui concerne la première saison ou "grande saison des pluies". Il semble que la pluviométrie de la seconde saison ou "petite saison des pluies" ait, quant à elle, beaucoup fluctué. Elle semblerait même avoir été relativement forte durant la décennie 1980, comparativement à ce que l'on observait auparavant, modifiant ainsi « l’équilibre pluviométrique » précédent.
Apparemment les pluies hors saisons des pluies n’ont varié qu’en quantité. Leur distribution temporelle semble, elle, inchangée.
Les phénomènes sont plus marqués en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale. Au sein des pays de l’Afrique de l’Ouest, ce sont les pays situés à l’Ouest du Ghana qui sont les plus fortement touchés.
Dans les zones à une saison sèche, la diminution des quantités précipitées est importante dès la fin de la décennie 1960. On assiste donc dans ces régions à un « renforcement » de la saison sèche qui se traduit par la disparition d’un certain nombre d’événement pluvieux habituellement enregistrés hors saison des pluies. Certaines zones de forêt subissent ce même phénomène mais de manière atténuée.
Dans les zones à deux saisons sèches, les changements concernent particulièrement la « grande saison sèche ». Celle-ci a vu son cumul pluviométrique diminuer fortement. C’est sur le littoral Est de la Côte d’Ivoire que le phénomène est le plus marqué. Par contre la petite « saison sèche » n’a pas connu de changement très prononcé.
Rappelons tout d’abord que le régime des pluies découpe la zone d’étude en deux domaines climatiques : équatorial et tropical. Le premier ne constitue, au Sud, qu’une partie peu importante de la zone d’étude.
La pluviométrie mensuelle a notablement changé au cours des dernières décennies en Afrique de l’Ouest et Centrale. Mais le changement ne s’est pas effectué uniformément sur toute l’année même si, globalement, sur chacun des mois la pluviométrie a diminué. La figure 5 et la figure 6 montrent la pluviométrie interannuelle et les indices pluviométriques de deux mois de l'année : Février en période sèche et Juillet en période humide.
L’analyse des résultats présentés uniquement sur ces deux cartes montre que le phénomène de sécheresse touche la zone étudiée de manières qui peuvent être très différentes. Ce qui est conforme aux modifications subies par les régimes pluviométriques de la région et décrites dans les paragraphes précédents.
Peu de régions peuvent prétendre avoir échappé à une baisse des précipitations mensuelles. Certaines régions ont même connu de très fortes perturbations dans la répartition des précipitations durant ces dernières décennies : la Côte d’Ivoire en est un parfait exemple.
Les régions les plus touchées apparaissent comme celles où habituellement il pleut le plus (de la Guinée à la Côte d’Ivoire) et celles où, habituellement, il pleut le moins, comme la bordure sahélienne. Entre les deux, le phénomène de sécheresse et ses manifestations sont très hétérogènes. En Afrique Centrale, en particulier, le phénomène n’a pas connu une ampleur comparable à ce qu’elle est en Afrique de l’Ouest non sahélienne.
Travailler à un pas de temps mensuel exige une connaissance approfondie du fonctionnement du climat dans cette région qui apparaît comme très complexe. Ces études et ces conclusions obtenues sur la pluviométrie devraient être complétées par la prise en compte d’autres variables climatologiques afin de permettre une meilleure compréhension du mécanisme de mise en place du phénomène de sécheresse en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale.
Le nombre annuel de jours de pluie a varié au cours des dernières décennies en Afrique de l’Ouest et Centrale (figure 7 et figure 8).
Le plus souvent, on enregistre une diminution importante en Afrique de l’Ouest et moindre en Afrique Centrale. Il est, cependant, difficile d’être très précis car les données disponibles ne couvrent pas l’ensemble de la zone d’étude.
Si l’apparition du phénomène de diminution du nombre annuel de jours de pluie se manifeste sur une période assez longue (de 1955 à 1980 environ), c’est malgré tout autour de l’année 1970 qu’elle est la plus fréquente (figure 9). Généralement, ce phénomène est en concordance avec la baisse constatée des précipitations annuelles, a fortiori en Afrique de l’Ouest.
La distribution de la pluviométrie journalière n’a apparemment pas varié au cours des dernières décennies. On constate, en effet, que la baisse de la pluviométrie annuelle semble avoir uniformément affecté toutes les « catégories » de pluviométrie journalière, des plus faibles au plus importantes.
Néanmoins, quelques ruptures et tendances peuvent être observées en certains endroits à la fin de la décennie 1960 ou au début de la décennie 1970, traduisant peut-être un changement plus net à l’échelle de l’événement pluvieux. Ce type de données relevant de la pluviographie n’était malheureusement pas accessible d’un point de vue régional.
Il serait intéressant de poursuivre l’analyse des jours pluvieux à un pas de temps plus fin, celui de l’événement pluvieux. La constitution de courbes I.D.F. de part et d’autre de l’année 1970 apporterait probablement des éléments intéressants quant à l’éventuelle modification de la distribution des événements pluvieux.
Toutes les approches univariées réalisées dans le cadre du programme ICCARE montrent que l’Afrique de l’Ouest a subi dans les années 60-70 des modifications climatiques importantes. Les tests statistiques mis en oeuvre sur chaque site de mesure (test de Pettitt (Pettitt, 1979); test de segmentation de Hubert (Hubert et al, 1989); procédure bayésienne (Kotz et al, 1981)) pour différentes variables étudiées (nombre annuel de jours de pluie, hauteur annuelle de la saison sèche, durée annuelle de la saison des pluies) concluent à des ruptures en moyenne sur la plupart des stations de cette région.
Cependant, les résultats obtenus ponctuellement par poste et par variable, n’ont pas été toujours faciles à interpréter dans leur ensemble ni à synthétiser. L’objectif est de réaliser, alors, une analyse spatio-temporelle généralisée au cas multivarié.
Cette approche tridimensionnelle permettra ainsi d’une part de détecter des ruptures climatiques caractérisées par plusieurs variables pluviométriques et d’autre part de répartir spatialement les postes ayant subi des changements similaires sur une période commune.
La zone d'étude se situe entre les longitudes 18° Ouest et 28° Est et les latitudes 2° et 14° Nord. Elle recouvre tous les pays en bordure du Golfe de Guinée. Cependant, du fait du nombre important de données manquantes, des pays comme le Nigeria ou le Ghana n'ont pu être pris en compte.
L’objectif étant de confirmer l'existence de ruptures en moyenne dans les années 1960 et 1970, l’analyse est restreinte à l’étude des séries entre 1950 et 1980. Compte tenu du fait que le test utilisé s'applique aussi bien à des séries longues que courtes mais qu'il ne peut détecter qu'une seule rupture en moyenne par série, procéder ainsi permet de ne pas mettre en évidence des ruptures en moyennes antérieures à celles recherchées.
Quatre variables quantitatives au pas de temps annuel sont considérées pour chacune des 99 stations pluviométriques retenues : cumul des pluies, nombre annuel de jours de pluie, durée de la saison des pluies et hauteur précipitée durant la saison sèche.
Préalablement à l’étude de détection de rupture, il convient de résumer l’information brute au moyen d'une méthode d'analyse des données exploratoire et multidimensionnellequi permet de constituer des groupes de postes à l’intérieur desquels sont mis en évidence des comportements similaires.
La méthode exploratoire utilisée est STATIS (Lavit, 1988). Il s'agit d'une analyse conjointe de plusieurs tableaux quantitatifs, pour lesquels est recherchée, entre autres, une structure commune appelée interstructure. Les tableaux sur lesquels est effectuée cette analyse tridimensionnelle sont représentés sur la figure 10.
On réalise sur cette matrice une Analyse en Composantes Principale classique en retenant les r vecteurs propres correspondant aux r plus grandes valeurs propres afin d’obtenir une représentation des stations.
La représentation dans le premier plan principal (figure 11) permet de former trois groupes à l’intérieur desquels les postes ont des comportements similaires.
Sur la figure 12, ont été reportées les groupes de postes ainsi obtenus :
L'organisation spatiale des postes fait apparaître nettement une répartition Nord-Sud d'une part et Est-Ouest d'autre part malgré l'absence de données sur le Ghana et le Nigeria.
La carte obtenue résume donc les comportements pluviométriques de l'ensemble des stations de la zone étudiée entre 1950 et 1980, tels qu'ils ont été décrits à l'aide de quatre variables hydrologiques. Il est ainsi possible d'associer à chaque groupe de postes pluviométriques des caractéristiques communes pour lesquelles on pourra chercher à mettre en évidence des ruptures en moyenne.
Le test de rupture en moyenne et l'estimation du point de rupture s’effectuent sur les séries des moyennes intergroupes pour chaque variable. Les résultats sont regroupés dans le tableau 2 et la figure 13.
Les résultats de cette approche viennent ainsi confirmer ceux des études univariées (Paturel et al, à paraître), à savoir l’existence de ruptures en moyenne dans les années 1960 et 1970 en Afrique de l’Ouest et Centrale. Les ruptures détectées en 1967 et 1969 confirment le début d’une période déficitaire; celle détectée pour le groupe I (Togo, Bénin et quelques stations du sud de la Côte d’Ivoire) en 1962 ne traduit qu'un déficit peu significatif. De plus, l’étude spatio-temporelle et multivariée réalisée, permet de proposer une organisation des postes pluviométriques, sur toute la durée de l’étudequi traduit des comportements et des variations climatiques communs.
Les observations pluviométriques disponibles datent souvent du début des années 1920. Un certain nombre de stations sont suivies, elles, depuis le tout début du siècle, voire avant (pays anglophones en particulier).Toutes indiquent clairement que l’Afrique de l’Ouest et Centrale non sahélienne a connu au cours du 20ème siècle trois périodes sèches (1910-1922, 1936-1950, 1969 à maintenant) et deux phases humides (1922-1935 et 1951-1968).
Les séries pluviométriques ont été traitées dans leur entier. L’étude a été menée par l’application exclusive du test de Pettitt (Pettitt, 1979).
Le tableau 3 présente la probabilité associée à la statistique du test calculé pour chacun des postes. Un classement qualitatif a été effectué en tenant compte des valeurs de cette probabilité.
Les valeurs de cette probabilité ont été reportées sur une carte de la région étudiée (figure 14) : le phénomène de déficit pluviométrique est plus marqué à l’Ouest du 5ème méridien Ouest et au Nord des 8-10èmes parallèles. Ailleurs, ce phénomène est moins accentué.
Les résultats du test montrent que, dans une grande majorité des cas, une « rupture » (diminution de la pluviométrie annuelle) au sein de la série chronologique s’observe entre 1960 et 1979 avec un niveau de signification qui varie d’un poste à l'autre. Dans seulement 5 cas, la rupture a été observée en dehors de cette période (autour des années 1940). Il faut noter, également, que, pour 6 postes, le test révèle une augmentation de la pluviométrie annuelle.
Au cours de ce siècle, la sécheresse actuelle ne semble donc pas avoir connu d’équivalent tant en durée qu’en intensité. La sécheresse qui s’en rapproche le plus serait celle de 1910-1922, mais aucune comparaison n’a pu être réellement effectuée car l’information pluviométrique est rare entre 1900 et 1920. Cependant les quelques stations où l’on peut trouver cette information montrent que la sécheresse de 1910-1922 semble avoir été d’une intensité équivalente à celle qui sévit actuellement.
Les représentations cartographiques et certaines analyses liées à la latitude et à la longitude soulignent l’existence d’une forte hétérogénéité spatiale quant à l’intensité et à la durée des périodes déficitaires et excédentaires. On a ainsi pu mettre en évidence que, durant la « sécheresse » actuelle, c’est dans les régions Nord-Ouest que les déficits se sont révélés les plus importants. A l’inverse, par exemple, la « sécheresse » des années 1936-1950, relativement faible sur toute la région, a été plus fortement ressentie en Afrique Centrale ainsi qu’au Togo et au Bénin. On notera, par ailleurs, que c’est précisément au niveau de ces deux derniers pays que la « sécheresse » actuelle passe par une intensité minimale en Afrique de l’Ouest.
La comparaison des deux dernières périodes sèches montre que celle qui a débuté à la fin des années 1960 a connu une extension régionale généralisée, ce qui ne fut pas le cas de celle de 1936-1950, souvent beaucoup plus localisée dans ses manifestations.
Par ailleurs, il n’a pas été possible d’identifier une relation simple à l’échelle interannuelle entre les phénomènes ENSO et la succession des périodes sèches et humides. Le seul lien qui puisse être véritablement mis en évidence est la concomitance entre l’ENSO le plus important du siècle (1982-1983) et une année particulièrement déficitaire en Afrique de l’Ouest et Centrale (1983).
Néanmoins, la prise en compte des grands modes de la variabilité climatique pourra, à n’en pas douter, apporter des éléments d’explication importants relatifs aux variations spatio-temporelles de la pluviométrie en Afrique de l’Ouest et Centrale, sahélienne et non sahélienne.
Ce projet entrepris dans le cadre du programme FRIEND AOC du PHI de l'UNESCO a permis d'identifier les manifestations de la variabilité climatique observée depuis près de vingt cinq ans maintenant en Afrique de l'Ouest et Centrale. Alors qu'on l'a longtemps cru cantonné au Sahel, cette étude a montré que le déficit pluviométrique a également touché les régions forestières et, plus généralement, l'Afrique dite "humide".
Cette baisse de la pluviométrie a, bien entendu, des conséquences sur les régimes des cours d'eau et donc sur la disponibilité des ressources en eau, clé de la réussite de bon nombre de projets de développement. La variabilité des régimes hydrologiques, ainsi que l'étude des éventuelles modifications de la relation pluie-débit, font l'objet des deux phases suivantes du programme ICCARE.
Force est de constater que la simple étude des séries chronologiques de hauteurs précipitées annuelles fait apparaître une nette et brutale fluctuation du régime pluviométrique dans toute la région considérée, à la fin des années 1960 et au début des années 1970.
D'un point de vue général, l'analyse globale de la répartition de la pluviométrie fait apparaître un tracé des isohyètes assez irrégulier, en particulier dans les zones côtières de la façade atlantique et de l'Ouest du Golfe de Guinée. Les secteurs les plus humides, avec par endroits des précipitations annuelles supérieures à 3000 mm, se trouvent à l'Ouest, sur la côte atlantique, ainsi qu’au Sud de la Côte d’Ivoire et du Nigeria. La pluviométrie des régions Nord de la zone étudiée est assez uniforme, l’éloignement par rapport à l’Océan Atlantique constituant un puissant facteur d’homogénéisation des régimes pluviométriques.
La cartographie des résultats de l'analyse des séries chronologiques montre une tendance générale au glissement des isohyètes vers le Sud/Sud-Ouest, de la décennie 1950 à la décennie 1980. Cette évolution traduit une diminution nette et généralisée de la pluviométrie annuelle sur l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et centrale non sahélienne :
L'emploi de méthodes de détection de ruptures pour étudier les séries chronologiques confirme la cartographie des résultats issus de l'analyse des séries pluviométriques. En règle générale, les différentes procédures appliquées aux séries de hauteurs annuelles précipitées soulignent l'existence d'une rupture survenue à la fin des années 1960 ou au début des années 1970, et donc en phase avec ce qui a été observé et étudié au Sahel. Les déficits pluviométriques correspondants sont de l'ordre de 20%. Ils atteignent parfois des valeurs supérieures à 25%, notamment sur la côte atlantique ou dans le Nord, confirmant ainsi que l'Afrique "humide" a, elle aussi, été sévèrement touchée par cette variabilité pluviométrique.
L'analyse menée au pas de temps mensuel montre que la baisse de la pluviométrie est un phénomène qui touche chaque période et chaque saison de l'année. Peu d'endroits peuvent, en effet, prétendre avoir échappé à une baisse des précipitations mensuelles. Certaines régions, telles que la Côte d'Ivoire, ont connu des modifications extrêmement importantes. Mais d'une manière générale, il apparaît que ce sont les zones à régime pluviométrique extrême qui ont subi les modifications les plus importantes : les plus arrosées (de la Guinée à la Côte d'Ivoire) et les plus arides (la bordure sahélienne au Nord de la zone étudiée). Entre les deux, le phénomène est d'intensité plus nuancée.
D'autres variables permettant une caractérisation plus "qualitative" du phénomène ont également été étudiées. Elles apportent un complément d'information quant aux manifestations de cette variabilité pluviométrique.
Il apparaît ainsi que le déroulement des saisons des pluies est légèrement différent de ce qu'il était avant la décennie 1970. Les saisons des pluies sont généralement plus courtes, soit parce qu'elles commencent plus tôt, soit parce qu'elles finissent plus tard. De même, les quantités précipitées durant les saisons des pluies ont désormais une répartition qui s'est trouvée modifiée. Cela se traduit par une pluviométrie plus homogène (zone à 1 saison des pluies) ou par une variation sensible du rapport des hauteurs précipitées des deux saisons des pluies.
Certaines régions de la zone, et plus particulièrement en Afrique de l'Ouest, ont également vu une diminution des précipitations enregistrées hors saison des pluies. Ce phénomène marque un "renforcement" de la saison sèche qui contribue, tout à la fois, à la baisse des précipitations annuelles et à la nette perception du phénomène par les populations. La diminution du nombre annuel de jours de pluie, là où elle a pu être étudiée, est un corollaire vérifié du déficit pluviométrique observé.
Une approche statistique complémentaire a été mise en oeuvre qui consiste en une étude spatio-temporelle des données à l'aide d'une méthode d'analyse exploratoire multidimensionnelle. Celle-ci a ensuite conduit à l'utilisation d'un test multivarié de détection de ruptures en moyenne. Cette approche confirme les résultats des analyses univariées, tant du point de vue des dates de rupture (fin des années 1960, début des années 1970) que de l'hétérogénéité spatiale et temporelle du phénomène. L'existence de deux axes privilégiés d'hétérogénéité, le premier Nord-Sud et le second Est-Ouest, apparaît, en effet, comme l'une des caractéristiques majeurs de ce déficit pluviométrique persistant.
L'examen des séries chronologiques depuis l'origine des stations a permis de resituer l'événement observé dans une perspective historique. Il apparaît ainsi que, depuis le début du siècle, la région a connu une succession de périodes sèches et humides, sans que l'on puisse toutefois parler de cycles. Le phénomène observé à la fin des années 1960 et au début des années 1970 apparaît, cependant comme le plus significatif du point de vue statistique. Cette période déficitaire, toujours d'actualité, présente, en outre, une durée et une intensité tout à fait remarquables. En particulier dans les secteurs Ouest et Nord de la zone étudiée, où le phénomène revêt un caractère exceptionnel, ce qui n'est sans doute pas le cas plus à l'Est.
Si les causes premières d'apparition de cette baisse de la pluviométrie et de ses conséquences restent, à l'heure actuelle, difficilement explicables, certaines activités humaines ont, sans aucun doute, contribué à accentuer le phénomène. En effet, si la déforestation ne peut pas être tenue comme cause principale de la sécheresse, la surexploitation de la forêt dans bon nombre de régions bordant l'Océan Atlantique et le Golfe de Guinée a très certainement participé à accroître les déficits pluviométriques.
Cette baisse de la pluviométrie a, bien entendu, des conséquences importantes sur la disponibilité des ressources en eau dans ces régions. L’agriculture, l’alimentation des retenues et la production hydroélectrique, entre autres, sont fortement pénalisées par cette diminution des ressources. Les conséquences de ce phénomène sont donc très inquiétantes en ce qui concerne le bon fonctionnement et la rentabilité des projets déjà réalisés ou envisagés.
Si la carence pure et simple n’est pas à craindre dans ces régions où les quantités précipitées restent importantes dans l’absolu, les effets de cette variabilité climatique peuvent, malgré tout, se révéler désastreux, en ce sens qu’ils modifient les données d’un équilibre déjà souvent mis à mal par ailleurs (pression anthropique et déforestation par exemple).
L'étude des modifications intervenues au sein des régimes hydrologiques, permettra d'apporter certaines réponses quant à l'incidence de ce déficit pluviométrique sur la disponibilité des ressources en eau.