Dans bon nombre de pays en développement d'Afrique de l'ouest et centrale, on observe une très forte pression anthropique sur le milieu naturel. Elle résulte de nombreux facteurs tels que l'importante croissance démographique, la déforestation, la mise en culture de terres préalablement défrichées, les migrations de population vers des zones précédemment inexploitées, la réalisation de retenues de tailles variables, etc. Autant de points qui peuvent avoir une forte influence sur le régime des cours d'eau. Ces éventuelles modifications des régimes naturels doivent donc être présentes à l'esprit lors de l'interprétation des résultats acquis sur certains bassins versants très fortement exploités et aménagés. Il conviendrait, par conséquent, de chercher systématiquement à reconstituer les débits naturels des cours d'eau anthropisés, mais c'est, généralement, une opération impossible à réaliser dans la mesure où, en pratique, les données nécessaires sont plus que rarement disponibles.
Les données hydrométriques journalières de nombreuses stations d'Afrique de l'ouest et centrale ont été rassemblées puis utilisées pour élaborer les variables étudiées dans le cadre de cette étude relative aux écoulements. Un important travail de collecte et de critique a donc été réalisé qui s'appuie principalement sur deux sources d'information :
Une base de données très complète (HEP-BASE), gérée sous Paradox, a ainsi pu être constituée. Elle couvre l'ensemble de la zone étudiée depuis la date d'implantation des stations hydrométriques jusqu'aux premières années de la décennie 1990. Globalement, l'information hydrométrique disponible l'est au pas de temps journalier. Dans de rares cas, elle ne l'est qu'au pas de temps mensuel.
Les réseaux de mesures hydrométriques ont connu un essor important au cours de la décennie 1950 alors que, auparavant, seules quelques stations bien particulières, contrôlant généralement de grands bassins, avaient été suivies régulièrement et, parfois, sur de longues durées. Il en ressort, donc, que pour de nombreuses stations, les séries de données hydrométriques n'excéderont guère 40 années. Dans certains pays, les données dont nous avons pu disposer n'allaient pas au delà du début de la décennie 1980, les séries chronologiques correspondantes ne dépassant donc que rarement 30 ans.
Une première critique de ces données ayant été effectuée par chacun des services et des structures auprès desquelles elles ont été recueillies, un simple contrôle par visualisation a permis d'éliminer les dernières erreurs. Toutefois, certains commentaires s'imposent :
La sélection des stations utilisées et analysées dans le cadre de cette étude repose sur des critères de qualité des données, de longueur des séries hydrométriques et de représentativité à une échelle régionale.
Cependant, les chroniques d'observations hydrométriques ne sont que très rarement exemptes de lacunes. Plusieurs méthodes ont donc été utilisées afin de reconstituer les données manquantes :
Le tableau 1 présente les stations et les bassins finalement sélectionnés pour l'étude.
Les figures 1 et 2 présentent certaines caractéristiques de ces stations : surfaces des bassins versants contrôlés ( figure 1) et durées d'observation (figure 2). La grande majorité des bassins étudiés a une superficie allant de 10 000 à 100 000 km². Les durées d'observation des stations avoisinent généralement les 30 à 40 années.
Les analyses effectuées ont consisté en l'application de méthodes statistiques permettant de caractériser d'éventuelles fluctuations au sein de séries chronologiques constituées à partir des différentes variables étudiées. Les méthodes statistiques retenues dans le cadre de ce travail sont :
Le test de Pettitt permet de situer à quel moment la rupture a été détectée. Il faut, cependant, rester prudent vis à vis des dates indiquées car une série d'essais par simulation a montré que la méthode pouvait parfois conduire à une localisation anticipée ou retardée de plusieurs années d'une rupture introduite fictivement à un moment précis. De même, il semble avéré qu'en deçà d'un seuil de variation de la variable analysée, les tests ne mettront aucun changement en évidence à moins de prendre un seuil de confiance très bas (seuil d'erreur élevé). Dans le cadre de cette étude, le seuil de confiance a été fixé à 90% (soit un seuil d'erreur de 10%).
Lorsque cela a été possible, le résultat de la vérification du caractère aléatoire de chacune des variables a été cartographié, ainsi que la date de rupture détectée par le test de Pettitt, complétée, parfois, par le déficit estimé sur la variable de part et d'autre de cette rupture.
Le choix de la méthode de cartographie des résultats repose sur un concept simple. Les résultats sont estimés en différentes stations, le long du fleuve et de quelques affluents. Les valeurs sont affectées, soit à la surface du bassin contrôlé par la station jusqu'à la station immédiatement située en amont (dans le cas de bassins emboîtés), soit à la totalité du bassin (dans le cas d'une tête de bassin).
Dans le cadre de cette cartographie, le tracé des limites des bassins versants a été volontairement très schématisé et le résultat obtenu, simplification admise, ne prétend, en aucun cas correspondre à la réalité absolue :
Tous les types de variables analysés dans le cadre de cette étude n'ont pas toujours pu être systématiquement traités sur chacun des bassins sélectionnés. Lacunes ou données de mauvaise qualité ont ainsi parfois conduit à des traitements plus réduits qu'initialement prévu.
Les débits moyens annuels ou modules (tableau 2) caractérisent de façon simple les écoulements annuels en donnant une idée de leur abondance (ils n'ont cependant pas une grande signification pratique puisque les débits journaliers n'approchent cette valeur que quelques jours par an, en particulier en régime tropical).
La figure 3 présente les résultats de la vérification du caractère aléatoire des séries de modules annuels. Pour 76 des 100 stations étudiées dans le cadre de cette étude, les séries apparaissent comme non-aléatoire, traduisant en cela l'existence d'une tendance dans les valeurs observées. Les séries considérées comme aléatoires concernent des stations situées au Togo et au Bénin, pour ce qui est de l'Afrique de l'ouest, et au Cameroun, pour ce qui est de l'Afrique Centrale.
Le test de Pettitt a été appliqué à l'ensemble des séries chronologiques de modules des stations étudiées. Les résultats confirment que le caractère " non aléatoire " détecté précédemment correspond à une baisse des débits moyens annuels, caractérisée par une " rupture " dans les séries, c'est à dire un changement de moyenne de part et d'autre de la date de cette rupture (date qui est l'un des résultats fournis par le test de Pettitt). Pour chacune des stations pour lesquelles une rupture a ainsi pu être détectée, on a calculé la valeur du déficit correspondant selon :
Déficit = (module avant rupture - module après rupture) / module avant rupture
Les valeurs de ces déficits, cartographiées sur la figure 4, traduisent bien l'importante diminution globale des écoulements observée à l'échelle régionale durant ces dernières décennies. La baisse des débits moyens annuels se situe en effet, majoritairement, entre 30 et 60%, pouvant même atteindre 70% dans certains cas, comme pour quelques uns des affluents du Niger. On ne note pas de relation particulière entre la taille des bassins et l'amplitude des valeurs de déficit calculées.
Compte tenu de certaines études qui ont été menées sous forme de simulations afin d'évaluer la puissance des tests utilisés dans le cadre du programme ICCARE, on peut dire que plus le déficit est important et plus il correspond à un niveau de signification élevé du test de Pettitt.
Un examen plus détaillé des résultats montre bien que les grands bassins hydrographiques étudiés (bassin du Sénégal, bassin du Niger, bassin de la Volta en Afrique de l'ouest, bassin de l'Oubangui, bassin du Chari-Logone en Afrique centrale) ont subi d'importantes diminutions des volumes écoulés.
Au Togo, au Bénin et au Cameroun, il existe un certain nombre de bassins versants pour lesquels aucune rupture n'a été mise en évidence. Cela ne signifie pas qu'aucun changement n'a eu réellement lieu mais, seulement, qu'aucun changement n'a pu être détecté par les méthodes employées. En outre, on constate généralement que les déficits estimés sur des bassins comparables et proches ne sont guère élevés. Dans bon nombre de cas, il est donc tout à fait vraisemblable que l'on se situe à la limite du seuil de variation détectable par le test utilisé pour un niveau de confiance donné. Ce qui semble, par ailleurs, directement confirmé par le simple examen visuel des tracés d'hydrogrammes.
La figure 5 indique les dates d'occurrences des ruptures détectées par le test et regroupées par classes. On constate ainsi que la grande majorité d'entre elles se produisent entre 1969 et 1971.
Les écoulements annuels en Afrique de l'ouest et centrale, y compris dans les zones non sahéliennes, ont donc fortement diminué au début de la décennie 1970. Ce phénomène est par conséquent bien en phase avec la variabilité pluviométrique déjà identifiée dans ces mêmes régions (Cf. Volet " Pluviométrie " du programme ICCARE). On notera que, d'une manière générale, les bassins à régime hydrologique tropical sont plus affectés que ceux à régime équatorial.
Il convient également de remarquer que si les précipitations ont diminué d'environ 20 à 25% en moyenne, les déficits atteints en matière de modules, et donc de volumes écoulés annuels, sont beaucoup plus importants puisque généralement supérieurs à 30% et fréquemment compris entre 40 et 60%. Il existe donc un effet amplificateur au niveau du débit, signal lissé et intégrateur de nombreuses caractéristiques des bassins versants : ruissellement, infiltration, type de végétation, présence et importance de nappes phréatiques, etc.
On notera que sur un bassin, la Lokoundjé au Cameroun, la rupture se traduit non pas par un déficit, mais, au contraire, par une augmentation des écoulements annuels localisée en 1961. Des études antérieures (Olivry, 1986) ont montré que, au Cameroun, en zone équatoriale, certains fleuves tels que le Ntem, le Nyong, la Lobé et la Lokoundjé ont connu une forte hydraulicité au début de la décennie 1960. Les tests statistiques mettent donc en évidence cette augmentation (importante en valeur absolue) dans le cas particulier de la Lokoundjé. Au contraire, pour les trois autres bassins cités, soit la diminution des écoulements autour de 1970 est la plus notable, soit aucune rupture n'a été détectée.
Quels qu'ils soient, les régimes hydrologiques voient se succéder annuellement des périodes de hautes et basses eaux, de durées très différentes du nord au sud et selon qu'i s'agit de bassins à régime tropical ou de bassins à régime équatorial. Les caractéristiques très différentes de ces périodes ont été étudiées dans le cadre du programme ICCARE, ainsi que les débits classés, souvent importants lorsqu'il s'agit de procéder à des aménagements.
Une étude relative aux tarissements complète également cette approche de la variabilité des écoulements et donne une idée de l'évolution de la relation nappe - cours d'eau au cours de ces années à pluviométrie déficitaire.
Dans le cadre de cette étude, les séries chronologiques de très nombreuses variables ont été analysées et l'ensemble des résultats est présenté en annexes. Cependant, tous ne seront pas commentés ici. Une attention particulière a, en effet, été accordée à certaines de ces variables jugées plus représentatives des phénomènes étudiés et donc mieux à même de caractériser leur évolution :
Les valeurs de DCC et de VCX5 sont très proches dans le cas des bassins versants pour lesquels on observe une forme de crue très lissée et donc très régulière. Les résultats issus de l'analyse des séries chronologiques correspondantes seront alors très similaires. Dans le cas de bassins à crues multiples, pratiquement indépendantes les unes des autres, les résultats issus de l'analyse de ces deux variables peuvent être sensiblement différents. C'est, en particulier, le cas des petits bassins versants qui présentent une réponse rapide aux événements pluvieux successifs. Une diminution (ou augmentation) détectée sur les valeurs de DCC peut alors indiquer une diminution (respectivement une augmentation) de ces événements pluvieux.
Dans le cas de l'étude des tarissements, les débits observés correspondent exclusivement à des debits de vidange des nappes et du reseau hydrographique. Les débits de vidange d’une nappe dépendent, d’une part de la loi de tarissement de celle-ci et, d’autre part, de son etat de remplissage à la fin de la saison des pluies précédente.
On
a retenu l'approximation du phénomène par une loi exponentielle
décroissante caractérisée par un débit initial de tarissement et un coefficient de tarissement
, quantificateur du drainage naturel de la nappe du bassin étudié :
Il s'agit, bien évidemment, d'une simplification qui, si elle est couramment admise (cette forme analytique « va dans le sens » de l’observation du phénomène), doit cependant être présente à l'esprit lors de l'analyse des résultats obtenus : une rivière est le plus souvent alimentée par une nappe variée dans sa distribution. Le système hydrogéologique d’alimentation d’un grand bassin n’est, également, que très rarement homogène : l’alimentation des basses-eaux est conditionnée par plusieurs de ces systèmes qui peuvent être différents les uns des autres et ne pas intervenir tous en même temps (saison des pluies déficitaires ou épuisement précoce de l’un de ces systèmes).
L’état de remplissage de la nappe, et donc son niveau piézométrique, conditionne le débit initial de vidange.
Le principal écueil de cette étude est de déterminer le « tarissement pur ». Il est difficilement observable sur les bassins de régimes équatoriaux comme le Nyong où la saison sèche est réduite et souvent perturbée par des précipitations parasites. Par ailleurs, le remplissage des nappes et leur extension variant d’une année à l’autre, les échantillons de valeurs de débit initial et de coefficient de tarissement présentent une certaine dispersion. Il n’est également pas rare que les courbes de variations de débit en phase de décroissance révèlent non pas 1 mais 2, voire 3, lois de tarissement successives. Ces « autres » tarissements ne semblent apparaître que dans la mesure où la saison sèche se prolonge.
L’analyse du tarissement va consister à suivre l’évolution des débits initiaux de tarissements purs (où supposés tels) et des coefficients de tarissement. Les premiers seront un indicateur de la variabilité de l’état de remplissage des nappes chaque année. Les seconds traduiront à la fois les caractéristiques géométriques de la nappe et ses caractéristiques physiques (conductivité hydraulique du matériau aquifère).
En ce qui concerne l’étude réalisée sur la forme de l’hydrogramme, on soulignera le fait que l’assimilation de la forme de l’hydrogramme de crue à un trapèze ne permet l’analyse que de quelques stations pour lesquelles l’hydrogramme à une forme simple et lissée. Trois variables peuvent caractériser chacun des trapèzes. Elles sont le rapport entre la « petite base » et la « grande base », ainsi que les angles de montée en crue et de descente en décrue.
L'ensemble des résultats concernant l'analyse des séries chronologiques des variables VCX5 et VCX30 a été rassemblé dans le tableau 3. On notera que le nombre de stations traitées du point de vue des hautes eaux est inférieur à ce qu'il était pour les modules annuels. Certaines stations ont, en effet, dû être éliminées, en particulier parce que les données disponibles l'étaient au pas de temps mensuel.
Les figures 6 à 11 sont une représentation cartographique des résultats obtenus à l'aide des tests statistiques utilisés.
Les résultats concernant la vérification du caractère aléatoire ou non des séries de VCX5 et VCX30 (figure 6 et figure 7) sont très similaires : pour environ 65% des stations étudiées, le caractère non aléatoire des séries chronologiques est mis en évidence, et une rupture y est pratiquement toujours associée. Notons que : (i) ce pourcentage ne doit pas être rapproché du pourcentage obtenu lors de l'étude des modules puisque les nombres de bassins versants étudiés sont différents et (ii) les bassins des régions les plus équatoriales et des zones où les déficit pluviométriques sont les plus faibles (Cf. Volet " Pluviométrie " du programme ICCARE) sont ceux dont les séries chronologiques concernées présentent généralement un caractère aléatoire.
La cartographie des " déficits " après rupture tant pour les VCX5 que pour les VCX30 a été reportée en figure 8 et figure 9. Les déficits sont généralement plus élevés sur les VCX30 que sur les VCX5 mais restent, cependant, moins importants que ceux observés sur les modules. Les plus fortes valeurs de déficits sont observées sur les bassins du Lac Tchad, du Sénégal, de certains affluents du Niger ou encore de certains cours d'eau en Côte d'Ivoire.
Les dates d'occurrence de ces ruptures dans les séries chronologiques de VCX5 et VCX30 (figure 10 et figure 11), lorsqu'elles sont détectées, couvrent une plage un peu plus large (entre 1965 et 1975) que celle déterminée pour les modules (entre 1969 et 1971). Cette période d'apparition du phénomène est, néanmoins, toujours majoritairement centrée autour de 1970 (respectivement 61% et 64 % des ruptures observées pour VCX5 et VCX30).
Globalement, les changements détectés ou non sur les hautes-eaux et sur les modules affectent les mêmes bassins. Dans le temps, ces modifications sont en phase avec ce qui a déjà été observé sur la pluviométrie et sur les écoulements annuels (modules) ce qui vient encore renforcer la mise en évidence de cette fluctuation climatique survenue en Afrique de l'ouest et centrale non sahélienne à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Il semble, cependant, que les baisses enregistrées sur les hautes eaux et, plus encore, sur les pointes de crues (bien caractérisées par la variable VCX5) soient plus faibles que dans le cas des modules.
Les résultats relatifs aux traitements des séries chronologiques de VCN60 ont été reportés dans le tableau 4 et cartographiés en figures 12 et 13.
Les bassins sélectionnés et traités sont assez peu nombreux en raison des remarques faites préalablement sur la qualité des données en basses-eaux. Pour cette même raison, on a renoncé à procéder à une évaluation quantitative des déficits enregistrés en matière de VCN60 et on s'est limité à une approche qualitative (caractère aléatoire et date de rupture).
Sur pratiquement tous les bassins qui présentent une rupture dans les séries chronologiques de basses eaux, traduisant en cela une diminution des valeurs de VCN60, une baisse des modules avait été observée. Les rares exceptions concernent des bassins camerounais (Nyong, Sanaga et Wouri), situés en zone équatoriale (figure 12). Les bassins où aucun changement n'est observé sont également ceux pour lesquels les modules ne présentaient pas de modification notable.
Les dates d'occurrence des ruptures surviennent très majoritairement entre 1969 et 1971, puisque c'est le cas pour 75 % des bassins pour lesquels le phénomène a été observé. Sur certains bassins, elles sont, cependant, proches de 1980. Cette localisation plus tardive dans le temps peut être mise en relation avec la présence au début des années 1980 d'un groupe d'années à pluviométrie très fortement déficitaire (figure 13).
Sur bon nombre de bassins non traités pour cause de données de qualité insuffisante, on peut observer visuellement que les périodes de non-écoulement se font plus fréquentes et plus longues qu'auparavant. Là encore, on note que ce phénomène s'observe généralement à compter du début de la décennie 1970.
De manière comparable à ce qui a été vu jusqu'à présent, on peut donc affirmer que, dans la région étudiée, les basses eaux ont également subi, aux alentours de 1970, une modification se traduisant par une diminution des valeurs observées. Cette baisse semble cependant être moins prononcée en zone équatoriale qu'elle ne l'est en zone tropicale, ce qui, là aussi, est conforme aux observations déjà faites.
L'ensemble des résultats relatifs aux traitements effectués sur les séries chronologiques de DCC, DC3 et DC6 a été reporté dans le tableau 5 et cartographié en figures 14 à 22 ( figure 14, figure 15, figure 16, figure 17, figure 18, figure 19, figure 20, figure 21 et figure 22).
Encore une fois, d'une manière générale, on constate un phénomène moins marqué au Togo, au Bénin et au Cameroun. Les séries de valeurs de débits classés, quels qu'ils soient, n'y présentent, en effet, que rarement des ruptures. Hormis ce résultat, on constate que les changements les plus importants sont enregistrés sur les séries de DC6. C'est, en effet, pour cette variable que l'on a la proportion de bassins touchés la plus élevée et les valeurs de déficits les plus importantes (près de 35 % des bassins concernés présentent un déficit supérieur à 60 %). Celles-ci sont plus faibles pour les DCC (en majorité comprises dans la plage 30 à 50 %) et les DC3 (en majorité comprises dans la plage 40 à 60 %).
Les " moyennes-eaux " semblent donc avoir été plus affectées par cette variabilité que les hautes-eaux. Ce résultat vient, en fait, confirmer ce qui ressortait de l'étude effectuée sur les modules (calculés comme les débits moyens annuels) et sur les séries de variables VCX5 et VCX30, les déficits enregistrés sur les modules se révélant les plus importants.
Les déficits observés sur les DC6 se révèlent même parfois plus élevés que sur les modules. Le cas du Bandama à Tiassalé (Côte d'Ivoire), où l'on n'observe pas de rupture pour la série de DC6, est une exception qui peut s'expliquer par la présence de la grande retenue de Kossou qui régule les écoulements en soutenant les basses-eaux.
Les dates d'occurrence des ruptures pour ces trois variables, se localisent, là encore, et de manière similaire à ce qui a été observé précédemment, autour de 1970, même si la dispersion est plus grande que celle constatée sur les modules.
Les données disponibles n’ont pas permis une analyse en profondeur de cet aspect de l’écoulement.
Les bassins traités sont souvent de taille importante, ce qui implique que la courbe de décrue soit, en fait, la résultante de la contribution de plusieurs sous-systèmes hydrogéologiques. En conséquence, le coefficient de tarissement, déduit des débits observés, peut présenter une certaine irrégularité d’une année à l’autre, augmentant en cela la difficulté de son analyse.
Le choix des débits initiaux de tarissement n’est également pas très facile en raison des difficultés rencontrées pour séparer le différents types d’écoulement des hydrogrammes étudiés.
L'ensemble des résultats relatifs aux traitements effectués sur les séries chronologiques de coefficients de tarissement et de débits initiaux de tarissement a été reporté dans le tableau 6 et cartographié en figures 23 à 26 (figure 23, figure 24, figure 25 et figure 26).
Les résultats obtenus confirment les observations déjà faites sur les autres caractéristiques des écoulements. Les changements les plus sensibles concernent les bassins à régimes tropicaux de l’Afrique de l’Ouest et Centrale. Les bassins à régimes équatoriaux semblent, par contre, ne pas avoir connu de changements significatifs.
D’un point de vue géographique, les écoulements de tarissement des bassins du Togo, du Bénin et du Cameroun ne semblent pas avoir été affectés par une variabilité climatique. Il est vrai que ces zones n’ont connu qu’une très faible variation de leur régime pluviométrique.
Ailleurs, les débits initiaux de tarissement ont bien souvent diminué alors que les coefficients de tarissement ont nettement augmenté. C’est, probablement, à rapprocher d’une réduction des aquifères en extension et d’une baisse importante de leurs niveaux piézométriques.
Les changements observés sur les coefficients de tarissement généralement sont postérieurs aux changements perçus sur les autres variables de l’écoulement. Il est probable que les différentes nappes d’alimentation ont, initialement, été en mesure de compenser les déficits pluviométriques enregistrés avant d’être, à leur tour, affectées par une diminution de leur extension et de leur niveau piézométrique du fait de leur réalimentation insuffisante.
Il faut cependant noter le résultat contraire enregistré sur le Niger à la station de Niamey : bien que les débits initiaux de tarissement aient nettement diminué, les coefficients de tarissement ont également fortement baissé. Il n’est pas aisé de bien l’expliquer. On peut peut-être avancer la grande complexité de l’origine des eaux dans cette région du fait de la disproportion existant entre la superficie du bassin théorique et sa partié réellement active très variable d’une année à l’autre. Il est probable que la baisse généralisée des écoulements ait entraîné des discontinuités dans les bassins d’alimentation de ce bief.
Seules quelques stations ont pu être analysées car elles présentent des hydrogrammes à forme simple et régulière que l’on peut assimiler à un simple trapèze.
L'ensemble des résultats relatifs aux traitements effectués sur les formes des hydrogrammes a été reporté dans le tableau 7 et cartographié en figures 27 à 38 (figure 27, figure 28, figure 29 , figure 30, figure 31 , figure 29, figure 33 , figure 34, figure 35 , figure 36, figure 37 et figure 38).
Dans pratiquement tous les cas, le rapport entre les bases du trapèze supérieur (délimité par 50 et 90% de Qmax) ne semble pas avoir connu de changement net. Aucune tendance à l’augmentation ou à la diminution n’est même mise en évidence. Puisque l’on a vu que les débits de hautes-eaux, et donc le débit maximum, ont nettement diminué, les bases du trapèze ont également diminué impliquant une durée réduite de cette partie supérieure de l’hydrogramme. Ce changement s’accompagne souvent d’une modification des pentes de l’hydrogramme. Celles-ci diminueraient sur le Chari (bassin du Lac Tchad) et l’Oubangui signifiant un applatissement de la pointe de la crue. Par contre, sur le Niger, à l’exception des stations de Koulikoro et Siguiri (bassin supérieur du Niger), elles augmenteraient, signifiant un resserrement de l’hydrogramme par sa base. Il faut noter que les dates d’occurrence de ces différents changements couvrent une large plage d’années qui peuvent traduire des phénomènes peu brusques plutôt apparentées à des tendances.
Pour le trapèze inférieur (délimité par 25 et 75% de Qmax), le rapport entre ses bases semble avoir plus évolué, en particulier sur le Chari, l’Oubangui et le Sénégal. Sur le Chari et le Sénégal, il diminue, indiquant un applatissement dans sa partie supérieure. Sur l’Oubangui, il augmente, indiquant un effilement de cette partie de l’hydrogramme. Les variations des pentes mises en évidence confirment ces résultats, indiquant même une déformation de la forme de l’hydrogramme du Niger dans son cours moyen avec une dissymétrie gauche accentuée. Elle se confirme par l’observation de l’hydrogramme de Malanville qui auparavant présentait deux maxima et qui n’en présente maintenant bien souvent plus qu’un.
Le Bandama, en Côte d’Ivoire, ne semble avoir connu pour sa part aucun changement.
L’analyse d’autres paramètres semble indiquer des changements nets sur les bassins de la Comoé, du Chari, du Niger et de la Volta : pour ces bassins, la pointe de la crue apparaîtrait plus précocement dans l’année. Pour les autres bassins, il ne semble pas que la forme des hydrogrammes ait particulièrement varié, bien qu’à de nombreuses stations, on constate que les hydrogrammes sont plus réguliers qu’auparavant.
Le volet " Ecoulements " du programme ICCARE a permis de rassembler un certain nombre d'éléments afin de déterminer l'évolution des caractéristiques hydrologiques des rivières et fleuves d'Afrique de l'ouest et centrale en relation avec la baisse de la pluviométrie annuelle observée depuis le début des années 1970.
D'une manière générale, en phase avec la chute des précipitations annuelles, on observe une importante diminution des écoulements. Les quantités écoulées à l'échelle annuelle, caractérisées par les modules, sont en forte baisse (généralement de 30 à 60 %). Ce phénomène est également observé en hautes eaux puisque les débits maximum atteints sont nettement inférieurs à ce qu'ils étaient auparavant. Les débits caractéristiques des valeurs plus moyennes des hydrogrammes, à savoir les DC6, sont également en baisse, et de manière particulièrement sensible puisque dans bon nombre de cas on observe un déficit de plus de 60 %. S'il est particulièrement difficile de quantifier la diminution constatée sur les basses eaux du fait d'une qualité des données par trop insuffisante, l'examen qualitatif montre que le phénomène a également touché les faibles débits. On notera, par ailleurs, qu'aucun paramètre physique, type relief, ne semble avoir réellement joué un rôle modérateur au regard des diminutions constatées des valeurs des variables étudiées.
Comme pour la pluviométrie, le phénomène est hétérogène au sens où son intensité est variable dans l'espace. Si d'une manière générale, on note que les régions tropicales ont été plus sévèrement touchées que les régions équatoriales, on relèvera également que, au Togo, au Bénin et au Cameroun, les modifications enregistrées sont beaucoup plus faibles que sur le reste de la zone étudiée. Cette constatation est parfaitement conforme à ce qui avait été observé en matière de pluviométrie. Ces trois pays présentent, en effet, une baisse des précipitations généralement inférieure à ce qu'elle est partout ailleurs.
La variabilité constatée au niveau de la pluviométrie a été très nettement accentuée en ce qui concerne les débits. Si l'on compare les précipitations annuelles aux modules, représentatifs des volumes écoulés annuels, on constate que l'on passe d'une diminution de l'ordre de 20 à 25%, en moyenne, à des valeurs beaucoup plus importantes puisque généralement supérieures à 30% et fréquemment comprises entre 40 et 60%. L'effet amplificateur au niveau du débit est donc tout à fait considérable. Il est le fait d'un signal lissé et intégrateur de nombreuses caractéristiques des bassins versants : ruissellement, infiltration, type de végétation, présence et importance de nappes phréatiques, etc.
Les déficits enregistrés sur les écoulements sont beaucoup plus forts que ceux des pluies, ce qui laisse à penser que les niveaux des nappes ont également fortement baissé. L’étude des tarissements le montre assez nettement. Les coefficients de tarissement ont fortement augmenté mais souvent quelques années après les changements mis en évidence sur les modules. Cela traduit probablement une réduction des aquifères en extension et une baisse importante de leurs niveaux piézométriques.
Les études réalisées sur les paramètres de forme montrent que si, dans certains cas, les hydrogrammes de crue apparaissent désormais plus courts et les pointes de crue plus aplaties, il est cependant difficile d’affirmer que la forme des crues a réellement changé.
On notera, en outre, qu’il n’est pas aisé d'entreprendre une telle étude sans prendre en considération l'influence des activités humaines sur les écoulements. C'est, en effet, au moment où survenait cette fluctuation climatique que bons nombres d'aménagements ont été réalisés sur les différents cours d'eau d'Afrique. L'exemple du Bandama, en Côte d'Ivoire, montre qu'ils ont joué un rôle important sur la modification des écoulements. Il est certain ,en outre, que la déforestation intense que connaissent les forêts tropicales humides contribue également à modifier la relation pluie-débit et donc les caractéristiques de l'écoulement. Les conditions de ruissellement et d'infiltration s'en trouvent, en effet, profondément modifiées, et ce de façon irréversible. Néanmoins, les phénomènes d'anthropisation ne peuvent expliquer à eux seuls l'ampleur des modifications que connaît depuis plus de 25 ans l'Afrique de l'ouest et centrale, qu'elle soit sahélienne ou non. D'autres explications sont à chercher parmi les phénomènes météorologiques et/ou océanographiques actuellement à l'étude.
Ces importantes diminutions enregistrées sur les écoulements ont, bien entendu, de sérieuses répercussions sur la ressource en eau et son utilisation. Dans les régions les plus au nord, voire dans les régions sahéliennes, les problèmes peuvent se révéler dramatiques du fait d'une ressource naturellement rare et qui devient plus rare encore. Tout doit être entrepris pour atteindre une gestion optimale de l'eau disponible. Retenues, adduction d'eau potable, irrigation, etc. Tous ces usages de l'eau doivent faire l'objet d'une approche intégrée permettant d'exploiter la ressource avec parcimonie et efficacité. Dans les régions plus au sud, l'eau ne manque pas, même si elle est moins abondante qu'elle ne l'était. Mais tous les aménagements entrepris doivent tenir compte de la diminution importante des quantités mobilisables. Faute de quoi, on risque de se heurter à de très sérieux problèmes de fonctionnement et de rentabilité des ouvrages et des systèmes aménagés mis en place. Sans compter que des prélèvements inconséquents, résultats d'une exploitation de ressources réellement disponibles mal réévaluées, auraient, à n'en pas douter, de sérieuses répercussions dans le domaine de l'environnement. Or celui-ci est déjà considérablement fragilisé du fait d'une pression démographique intense dans de nombreuses régions, d'une déforestation excessive et d'une mise en culture qui modifie beaucoup des équilibres préexistants.